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Euthanasie : un droit depuis 20 ans

08/12/2022

Dr Léon Constant, Médecin généraliste 
Pr François Damas, Intensiviste Spécialiste Euthanasie

 

L’euthanasie fut considérée longtemps comme un acte impossible. Impossible sur le plan légal puisque cet acte s’apparentait à un crime prémédité et donc un assassinat relevant de la cour d’assises. Impossible sur le plan éthique ou déontologique car il était le signe d’une transgression majeure. Transgresser l’interdit “tu ne tueras point” fragiliserait, pensait-on, la société et allait faire courir un risque majeur aux personnes vulnérables. Il allait aussi irrémédiablement altérer le rôle et l’image du médecin vis-à-vis de ses patients dont il perdrait définitivement la confiance. 

Le chemin balisé par la loi était un chemin que bien peu avait déjà emprunté, et s’ils l’avaient fait auparavant, c’était en cachette. Ce que la loi apporte est une ouverture à un choix possible qui appartient au malade et non au médecin. La loi sur l’euthanasie s’inscrit dans les lois dites “éthiques” comme la loi sur la procréation assistée ou la loi sur l’avortement. Il s’agit de donner la possibilité du choix aux personnes concernées sans accroître le pouvoir du médecin. C’est ainsi qu’il faut voir la loi sur l’euthanasie dont l’application impose au médecin comme au malade de se substituer l’un à l’autre dans la relation qui les unit normalement : dans la procédure qui peut aboutir à une euthanasie, c’est le malade qui décide et le médecin qui consent. 

Pour autant, on sait que la dépénalisation de l’euthanasie n’est que conditionnelle. La loi impose des conditions pour permettre à un médecin de réaliser un acte qui autrement pourrait faire l’objet de poursuite judiciaire grave. Mais il ne faut pas regarder la loi uniquement sur cet aspect juridique. En réalité, les balises que met la loi pour construire la procédure aboutissant à une euthanasie sont des recommandations majeures pour que, dans cet accompagnement particulier, le médecin observe aussi, comme dans les autres domaines de la médecine, de “bonnes pratiques cliniques”.

En suivant le prescrit légal, on s’aperçoit rapidement que l’on peut vraiment transformer un acte transgressif en un véritable dernier acte de soins. Depuis 20 ans, le nombre d’actes déclarés n’a fait que croître d’année en année, hormis en 2020 où on constate une légère diminution, conséquence sans doute de la pandémie due au Covid 19. 

Cette augmentation atteint maintenant en 2021, dernière année complète, le chiffre de 2.699 euthanasies correspondant à 2,5 % des décès. Il est possible que ce chiffre augmente encore dans les années prochaines. On sait que le nombre d’euthanasies déclarées aux Pays-Bas dépasse 4,3 % des décès et celui observé au Canada, qui a légiféré bien après la Belgique, atteint déjà 3,1 %. Mais on peut penser que l’euthanasie restera le choix d’une petite minorité des patients. 

Le profil de cette petite minorité a néanmoins changé depuis 20 ans. 

Au début, ce sont des malades atteints de cancer qui demandent l’euthanasie. 85 % des cas appartiennent à cette catégorie. Le deuxième groupe, nettement plus petit, est représenté par les maladies neurologiques évolutives dont l’importance n’atteint pas 10 %. 20 ans plus tard le cancer ne regroupe plus que 65 % des cas d’euthanasie. Les maladies neurologiques restent à moins de 10 %. Il est apparu entre temps un deuxième groupe en importance de presque 20 % des euthanasies. Il s’agit de personnes souffrant de polypathologies. Celles-ci sont liées le plus souvent à un âge avancé. C’est ainsi que l’on voit l’âge moyen des personnes recourant à l’euthanasie augmenter progressivement depuis 2012. Les personnes âgées souffrant de divers handicaps peuvent souffrir d’un déclin fonctionnel tel que la vie qui leur reste leur est devenue trop difficile et trop lourde à vivre. Une souffrance à la fois physique et psychique se manifeste motivant leur demande d’une aide médicale à mourir. Cette demande est entendue manifestement de plus en plus souvent. 

Parallèlement à l’apparition de ce groupe de personnes souffrant de polypathologies et au vieillissement des demandeurs d’euthanasie, un autre changement évident apparait, marqué surtout depuis les deux dernières années. Le lieu où se réalise l’euthanasie était au départ essentiellement l’hôpital. L’euthanasie relevait donc surtout de la médecine hospitalière et des médecins spécialistes. Depuis dix ans et surtout depuis 2020 et 2021, cette tendance s’est inversée. Plus de la moitié des euthanasies se déroule maintenant au domicile des malades. Il faut y ajouter environ 20 % des euthanasies réalisées en maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS). Moins d’un tiers des actes sont encore réalisés en milieu hospitalier. Dès lors, on doit admettre que les médecins généralistes sont maintenant impliqués dans la toute grosse majorité des cas d’euthanasie. On doit y voir un vrai progrès. Car c’est le médecin traitant qui connait le mieux son malade et qui connait les conditions dans lesquelles il vit. C’est lui qui est le mieux placé pour rencontrer la famille et les différentes personnes impliquées dans les soins au malade. Permettre enfin au malade, au terme de son parcours de vie, de mourir chez lui rencontre une aspiration majoritaire actuellement parmi nos contemporains. 

Le médecin de famille retrouve dès lors toute son importance dans la hiérarchie médicale et les soins apportés à la population. Le moment de la fin de vie et la qualité du dernier parcours sont essentiels pour chaque malade et pour son entourage. Les médecins généralistes devraient se saisir résolument de la question de la fin de vie. Ils sont reconnus par la commission fédérale de contrôle comme les vrais spécialistes du grand âge, particulièrement dans leur rôle qu’ils assument dans les maisons de repos et de soins. Ils devraient désormais être reconnus davantage dans leur rôle d’accompagnement de la fin de vie à l’heure où l’on réclame encore plus de moyens pour les soins palliatifs. C’est via les médecins de famille que les soins palliatifs peuvent être au mieux prodigués.